Pour ne pas changer les bonnes habitudes, Héphaïstos était parti à la recherche d'Aphrodite, jusque dans le quartier latin... C'était dur pour lui, et il avait lutté pour ne pas céder à cette curiosité malsaine qui le rongeait. Il aurait du rester chez lui, se barricader, et tacher d'oublier la blonde qui le faisait souffrir sans relâche depuis des années. Mais c'était plus fort que lui, son rire le hantait, surtout quand il l'imaginait l'offrir à d'autres. La voir minauder devant ces éphèbes tout en muscles le mettait hors de lui... Mais il préférait savoir, que de rester dans une ignorance qui donnait lieu à des milliers d'interprétations malsaines.
Ainsi, il avait atterri au beau milieu d'un spectacle, d'une qualité assez modeste. Après tout, c'était le style romain, et il avait du mal à apprécier les mimiques des joueurs en toges, si tant était qu'elles fussent drôles ou dramatiques. Il aurait bien refusé d'applaudir, se contentant de guetter une silhouette connue dans la foule.
Ce fut ainsi qu'il ne capta pas l'animation qui s'emparait soudain du public : une invitation, sous forme de défi, avait été donnée sans qu'il ne la perçoive. Ainsi, de tout ceux qui étaient présent, ce fut le seul étonné de voir une rose lui arriver en pleine figure, et il ne l'attrapa au vol que pour l'empêcher de lui laisser une balafre qui le rendrait plus disgracieux encore qu'il ne l'était selon les dires de son épouse.
- Mais c'est quoi c'bordel ? Grogna-t-il, avec son sempiternel ton bourru. Les romains étaient décidément un peuple bien étranges, plein de traditions incompréhensibles, visant surement à se moquer des autres divinités. De tous les expatriés présents, ils auraient pu choisir n'importe qui de plus romantique que le forgeron. Un diner ?
Héphaïstos jeta un regard ahuri au satyre qui lui annonçait la bonne nouvelle, avec un sourire éclatant. Il ne pouvait guère partager son émoi, surtout lorsqu'il découvrit sa partenaire improvisée : une égyptienne, il ne manquait plus que ça ! Le Dieu grec avait horreur de ces barbares qui enrubannaient leur mort, et adoraient les scarabées... Non mais franchement, les scarabées, quoi. Il baissa la tête, prêt à disparaître et à laisser sa chance à un autre spectateur plus enchanté par la perspective d'un tête à tête que lui.
Alors qu'il s'éclipsait discrètement, se substituant à l'agitation générale, une main le rattrapa, et son regard croisa celui de celle qui devait lui servir de compagne pour la nuit, désignée par le destin. Une tout autre opinion de son genre s'empara alors de lui, et il se sentit fléchir.
Pour une habitante des pyramides, elle était, il fallait bien l'avouer, d'une beauté toute particulière. Sur le coup, le visage d'Aphrodite vint se superposer un instant au sien, mais les traits de la violente déesse de l'amour s'évanouirent sur ceux, plus doux, de sa remplaçante du soir. Héphaïstos secoua la tête, essayant de retrouver ses esprits devant cette image troublante... Elle venait de lui proposer un verre, à défaut de chandelles, surement parce qu'elle éprouvait une quelconque forme de pitié devant le désarroi du boiteux - il ne pouvait imaginer les choses autrement.
- J'suppose que c'est un bon compromis, maugréa-t-il, sa voix s'apaisant légèrement puisqu'il s'adressait à la demoiselle, victime elle aussi du hasard. Il la plaignait déjà de devoir lui tenir compagnie : il n'avait jamais pensé pouvoir être d'une présence sympathique. Héphaïstos, ajouta-t-il, en posant la main sur son torse, pour se présenter.
C'était simple, concis. Il supposait qu'elle connaissait assez bien sa mythologie pour pouvoir le replacer dans la grande généalogie des Dieux. L'éclopé, le fils honni d'Héra... Sa réputation le précédait souvent, et pas en bien. S'il était la risée des Olympiens, son histoire provoquait généralement le rejet des étrangers également... Seule la compassion des humains, et leur gratitude face à son talent trop dévalorise par son statut l'aidait à accepter son isolement.
La salle commençant à s'exciter d'une façon qui n'était pas propice à la discussion, Héphaïstos repoussa quelques assaillants involontaires pour se frayer un chemin jusqu'à la porte. Sa main se posa instinctivement sur la taille de sa compagne pour la guider avec assurance, et sans gênes, vers la sortie. Aucune créature romaine ne pouvait vraiment s'opposer à la puissance physique du Dieu, ni même que Ouadjet, divinité féminine, ne pouvait se soustraire à la poigne qui la poussait à avancer, bien que celle-ci fut aussi peu brutale qu'Héhaïstos en avait l'air.
Ce contact, s'il fut rapide, et dénué de mauvais intentions, le troubla pourtant fortement : il s'écarta d'elle aussitôt la porte atteinte, pour la laisser se diriger vers le buffet et la table servie pour eux dans une pièce l'écart.