Prostré dans sa demeure vide, Héphaïstos avait attendu, avec une étrange sérénité, un sentiment qu'il n'avait pas connu depuis trop longtemps pour s'en souvenir. Malgré la brûlure qu'avaient laissés les baisers ardents de sa femme sur ses lèvres, le Dieu souriait, d'un sourire qui aurait surement fait frissonner son compère du royaume des enfers. Au contact de la peau d'Aphrodite, il s'était senti un nouveau pouvoir, dominant, une puissance qu'il n'avait jamais espéré ressentir. Il ne pouvait s'expliquer cette émotion, mais cette nuit-là, il était fort, plus fort que les doutes de son épouse, plus fort que ses caprices... Il avait l'impression, pour la première fois, de l'avoir possédé, ne serait-ce que quelques minuscules mais intenses secondes.
Et ce n'était pas du à une illusion provoquée par le traitre Dyonisos... Il avait perçu la peau de la blonde frémir de capitulation sous ses doigts. Pendant ce moment trop court, elle l'avait désiré, il le savait.
Ce n'était probablement pas la fin de la guerre, mais Héphaïstos éprouvait le soulagement triomphant d'une première victoire, si durement arrachée, à force de constance.
Peu importait alors, finalement, qu'elle aille essayer de soulager le manque auprès d'un amant de passage... Elle ne comblerait pas le vide qu'il avait découvert, elle ne satisferait pas ces pulsions qu'il avait réveillées, et qu'il ne connaissait lui-même que trop bien.
Assis sur un fauteuil confortable, Héphaïstos se laissa emporter dans les souvenirs de sa rencontre avec la Déesse qui serait liée à lui pour l'éternité par un serment divin. Il n'avait pas eu besoin des chuchotements fourbes de son faux ami à son oreille pour comprendre que son cœur avait été immédiatement ravi par les prunelles irrésistibles de l'incarnation de l'amour. Et même si les yeux merveilleux d'Aphrodite n'exprimaient alors que du dégoût sur sa personne, il ne pouvait plus imaginer une immortalité sans les avoir toujours à ses côtés.
Il s'était dit, alors, qu'il pourrait l'aimer pour deux... Et il n'avait jamais failli à cette promesse, puisque son amour était bien plus énorme que ce qu'aurait pu supporter un unique et simple être humain.
Il était tant absorbé par ses pensées qu'il fut surpris par l'entrée fracassante de la tornade blonde, se recroquevillant à peine pour éviter le projectile qu'elle lui lança sans hésitation au visage, avant de lui hurler dessus.
Avec une vitesse étonnante pour un boiteux, il se retrouva face à elle pour lui immobiliser les poignets, la serrant contre lui d'un geste brusque, proportionnel à sa colère. D'habitude, il se serait laissé insulter, sans rien dire, avec un calme Olympien qui était bien son seul trait de caractère qui faisait honneur à ses origines.
Mais pas cette nuit.
- Tais-toi ! Sa voix grave, sourde à ses jérémiades de princesse, avait un ton impératif, autoritaire, imposant le silence d'une façon qui aurait fait trembler le plus brave des mortels. Ses yeux étaient rivés à ceux de son épouse, sans ciller. Si quelqu'un supplie, ce sera toi.
D'un mouvement étudié, soudain, il la retourna dos contre lui, pour pouvoir l'entourer de ses bras, rendus forts par son travail à la forge. Avide, sa bouche se précipita sur la nuque de la Déesse, pour toucher sa gorge à travers les mèches dorées qui tombaient en cascade sur son dos, tandis qu'il la serrait contre lui.
- Ma vie est déjà un enfer, Aphrodite, murmura-t-il d'un souffle dans son cou, ses mains libérant enfin les poignets de la blonde, pour glisser sur son corps, tout en la maintenant fermement contre lui. Mais j'ai supporté de marcher sur ces braises pour te rejoindre, j'ai appris à aimer ces tortures... Maintenant c'est ton tour.
Allait-elle essayer de se dégager de son étreinte, en allant contre sa nature, ou l'accepter ? Dans tous les cas, il ne la laisserait pas s'échapper... Il aurait des réponses.
Et il l'aurait, elle, toute entière.