Thrùd était à pied, Sigr la suivait à distance. Elle passa sous les arbres qui bordaient le lac et commença à le longer. Elle était détendue, calme, sereine et presque heureuse. Cet endroit lui rappelait Midgard et elle l’appréciait beaucoup. Au départ, elle était partie pour s'entrainer, mais en apercevant la foule sur le terrain d'entrainement, elle avait aussitôt fait demi-tour: traverser une ou deux fois le lac à la nage l'entretiendrait aussi bien.

Il faisait plutôt frais mais cela ne l'arrêterait pas: Thrùd avait passé son enfance à suivre ses mères adoptives dans les endroits les plus inhospitaliers d'Asgard et de Midgard. Après s'être rendue à pied sur sa berge favorite, la valkyrie commença à se dévêtir. Elle portait son armure et son casque, ainsi que son bouclier, une épée et une hache, car à la base, elle avait tout de même prévu de s'entrainer aux armes.

Thrùd plia soigneusement toutes ses affaires et les posa en une pile propre, son casque par dessus et ses armes à coté, puis se dirigea vers l'eau, dans laquelle elle entra prudemment. Elle frissonna, plus de plaisir que de froid. Une fois immergée jusqu'à la taille, elle se mouilla la nuque par précaution, puis commença à nager.

Le lac n'était pas grand, et la valkyrie nageait vite, avec des mouvements puissants, en quelques minutes, elle fut de l'autre coté. Elle se hissa sur la berge pour se reposer un instant, avant de repartir dans l'autre sens. Thrùd prit le temps de barboter un peu, faisant quelques brasses coulées et s'amusant même à descendre assez sous l'eau pour toucher le fond plein de vase et d'algues.

La valkyrie fini par se résoudre à reprendre pied sur terre. Elle étira sa grande carcasse trempée et commença à se rhabiller sans prendre le temps de se sécher. Alors qu'elle s'apprêtait à remettre sa tunique, un soudain bruit lui fit dresser l'oreille: le hurlement de Sigr, juste derrière les arbres. Thrùd se pencha et ramassa son épée, qu'elle dégaina. Le loup géant appelait à la curée. Elle s'approcha de la provenance du cri, juste au moment, où un individu surgissait de nul part.

Sans réfléchir, ni même le regarder, la valkyrie le jeta à terre d'un coup du plat de l'épée quand il passa à coté d'elle. Sigr arrivait à ce moment là. Thrùd l'attrapa par le harnais et lui flatta l'encolure, essayant de comprendre ce qui l'avait mit dans un état pareil.

Quelque chose lui disait que le type qu'elle venait de flanquer par terre le savait. Elle alla s'accroupir près de lui sans ranger son épée. Du pouce, elle pointa le loup qui était allé boire dans le lac.

"Je ne sais pas ce que vous avez fait pour le rendre furieux à ce point, mais vous avez eu de la chance de fuir vers moi. S'il vous avait chopé j'aurais pas donné cher de votre peau."

Là dessus Thrùd rengaina son épée et retourna près de ses affaires pour finir de s'habiller, ramassant au passage sa tunique, abandonné au sol comme un vieux chiffon, sans plus prêter attention au type.

Thrùd sangla son armure, les épaules contractées par le plaisir anticipé. Qu'il continue à la chercher... Oh Odin père de tout, faites qu'il continue à la chercher. Elle pourrait l'attaquer avec un solide prétexte et personne ne songerait à le lui reprocher. Avec des gestes lents, elle se pencha pour ramasser son baudrier et boucler à sa taille, puis sa hache qu'elle gardait à la main, d'accrocher son bouclier à son dos et pour finir, de coincer son casque sous son bras gauche.

"Je crois..." fit lentement, très lentement Thrùd en se redressant, d'une voix basse à l'accent rocailleux, débordante d'exitation contenue. "Je crois que je vous dois des excuses... C'est ce que dirait n'importe qui d'autre."

Pauvre petit lapin, prit entre deux loups. Depuis son arrivée sur Némeil, Thrùd s'était découvert un penchant certain pour le sadisme, qui s'était déjà manifesté devant de nombreuses divinités ayant croisé sa route. Le sang de Perséphone, les pleurs retenus d'Idun et la rage de Sif étaient autant de délicieux souvenirs pour la valkyrie.

A quoi allait-elle avoir droit cette fois? De la peur. Oui, rien n'était plus joussif que de déclencher une peur irrationnelle et instinctive. De toutes les nuances et les types d'émotions et de souffrance, c'était celle-là la préférée de Thrùd.
La valkyrie leva un oeil vers son loup et lança un ordre en norrois.

"Mais vois-tu, qui que tu sois, je te trouve bien prétentieux." dit-elle en avançant d'un pas tranquille vers l'inconnu en souriant. "Figure toi pour commencer que Sigr est très bien nourri. Mais c'est un tueur! C'est pour ça que nous nous entendons si bien, sais-tu?"

Thrùd fit un moulinet avec sa hache viking au long manche, comme si elle n'avait rien pesé. Sigr avait bien répondu à son ordre, il se tenait maintenant derrière leur proie. Au premier pas en arrière, le type se heurterait au poitrail du loup.

"J'étais disposée à te laisser filer, mais ta prétention m'irrite. J'ai forcé mon loup à t'épargner, mais tu as osé demander des excuses par dessus le marché et tu t'es montré très insultant." touche finale au tableau de Thrùd, annoncer enfin ses origines descendant droit de la noblesse argasdienne. "Je suis Thrùd fille de Thor, la plus jeune des valkyries. Craint moi ou meurt."

Thrùd fut pour le moins surprise quand cet avorton arrogant se mit à manifester de toutes ses forces une admiration intense pour Thor. Elle aussi adorait le dieu de la foudre et pour cause, c'était son père! Mais ce que manifestait l'autre était une espèce d'admiration exubérante qu'elle n'avait jusque là observé que sur des mortels. Suspect.

Thrùd ne resta pas perplexe longtemps toutefois, puisqu'il ferma les yeux, grossière erreur face à un ennemi, et recula d'un pas. Elle vit presque au ralentit le talon de l'inconnu écraser la grosse patte de Sigr juste derrière son pied. Elle vit aussi les crocs du loup luire et se planter dans le mollet de l'avorton. C'était magnifique. Spectaculaire. Inespéré. Le blessée s’effondra par terre aux pieds du loup géant.

Thrùd s'appuya sur sa hache en contemplant l'inconnu d'un air mi-incrédule mi-amusée. La bouche entrouverte et les sourcils arqués, elle peinait à réaliser ce qui venait de se passer. L'individu venait de tomber dans son piège? Elle ne s'y était pas attendu: pour elle, il avait très bien sentit la présence de Sigr. Il n'était là que pour lui barrer la route. Un rire monta dans sa gorge et elle le refoula aussitôt, mais elle ne pu le retenir et il fini par s'échapper à petites saccades.

"Oh par l'oeil d'Odin..." dit Thrùd en se couvrant la bouche du dos de sa main pour étouffer son hilarité. "Quel genre de dieu es-tu? De là d'où je viens on appelle les gens comme toi des morts qui marchent, car leur espérance de vie sur le champs de bataille est d'environ deux respiration."

Thrùd contempla l'inconnu qui se trainait par terre avec la même indulgence que celle qu'on adresse à un enfant maladroit. Elle ne connaissait pas bien les autres dieux, mais l'avorton qui remplissait actuellement sa blessure de sable en essayant de se lever, il ne pouvait être qu'une divinité mineure de la musique ou de la poésie, à la rigueur de l'amour romantique. Il n'y avait qu'avec ces attributions qu'il était possible d'être niais à ce point.

La valkyrie adressa un sourire presque doux à l'inconnu. Un sourire dans lequel perçait sans qu'elle s'en rende compte le début de la folie, la claustrophobie qu'elle ressentait sur cette île trop petite pour elle, la souffrance de l'expatrié malgré lui et l'expression de sa nature profondément violente.

"Je ne m'affirme pas forte. Je ne m'affirme pas intelligente. J'affirme juste que tu m'irrite et je veux ta soumission." Thrùd s'accroupit près de lui et saisit le visage du dieu de sa main gauche. "D'où viens tu? Si tu était scandinave, je te connaitrais et tu es trop pâle pour un égyptien, donc tu dois être grec ou romain. Je me trompe?"

La valkyrie lâcha sa victime et se redressa pour flatter l'encolure de Sigr qui s'approchait en se léchant le museau. Elle commença machinalement à accrocher ses armes au harnais de sa monture tout en surveillant l'inconnu.

"Cesse de t'agiter, si tu fais rentrer des saletés dans ta blessure ça va être difficile à soigner."

Thrùd observa un instant le dieu de derrière l'épaule de Sigr. Il ne manquait pas d'aplomb, elle devait bien le reconnaitre. Finalement, peut-être allait-elle l'aider. Mais à une condition, et cela ne pressait pas, loin de là. La plaie ne semblait pas trop grave, même si la victime se roulait par terre comme si on lui avait coupé la jambe. La valkyrie en avait encaissée des plus graves dans sa longue existence et ça la dépassait qu'on en fasse autant pour une morsure.

"Alors, grec. Je t'aiderais, mais à une condition."

Elle avait le sang, elle ne pouvait pas avoir la mort, alors elle voulait la soumission et l’humiliation. Thrùd contourna Sigr pour se poster à nouveau devant le dieu au sol, le dominant de toute sa très haute taille. C'était la grande fierté de la valkyrie: elle était bien plus solidement charpentée que n'importe quel homme normal. Immense était son corps et immense était l'ombre qu'elle projetait sur sa victime.

"Présente moi des excuses et implore ma pitié." exigea Thrùd avant d'ajouter: "Cela ne me gêne pas le moins du monde de te laisser saigner sur la plage à la merci des loups et des ours. Il y a un vieux mâle particulièrement hargneux dont j'aimerais la peau. Tu ferais un appât merveilleux."

Tout dans l'attitude de la valkyrie clamait: soumet toi ou meurs. Elle méprisait la faiblesse plus que tout au monde et celui-là en manifestait trop pour qu'elle n'ai pas envie d'enfoncer le clou.

"Quel culot pour un type qui se vide de son sang sur une plage loin de tout!"

Thrùd éclata de rire. Très bien. Tant pis pour lui: il allait mourir ici comme un imbécile. Elle n'avait aucun scrupule à l'abandonner dans cette délicate situation: dans son esprit, c'était elle qui avait été lésée au départ. Si l'individu en question décédait, il ne pourrait s'en prendre qu'à lui même. La valkyrie ne songea même pas aux conséquences diplomatiques que cela pourrait entrainer. Si une valkyrie blessait puis laissait mourir un dieu Grec, cela ferait fatalement d'énormes problèmes.

Peut-être même une guerre, mais ça ce n'était pas un point négatif! Enthousiasmée par cette perspective, elle eu un léger sourire, puis posa son casque sur ses cheveux mouillés et en un mouvement souple se hissa sur le dos de Sigr, dominant d'encore plus haut le dieu qui se roulait par terre.
Que de fierté et de colère dans ces yeux! Thrùd devait bien avouer qu'il avait du courage. Encore une fois, elle renversa la tête en arrière pour lancer un grand rire vers le ciel.

"Très bien, au moins tu as des couilles."

La valkyrie se laissa glisser au bas de sa monture, puis saisit le type par la taille pour le jeter en travers du garrot de Sigr comme un sac de farine, avant de remonter sur le dos du loup d'un bond. Maintenant le dieu d'une main accroché à son pull et se maintenant elle même avec l'autre.
L'animal se lança au grand galop à travers les plaines, volant sans faire un bruit au dessus de l'herbe rabougrie par l'hiver vers le quartier grec pour déposer son sanglant paquet.

Le vent sifflait aux oreilles de Thrùd et lui caressait le visage à travers son casque. C'était formidablement grisant qu'une chevauchée à vive allure à travers des plaines sans fin. Et encore ce n'était qu'a dix que ça devenait quelque chose: courant en une course sans fin, hurlant, les loups, hurlantes les valkyries, frappant leurs armes contre leurs boucliers en une clameur de Ragnarök, terrifiant toutes les âmes qu'elles croisaient. Ce souvenir exalta Thrùd qui émit un long hurlement inarticulé, reprit par Sigr.

Un galop sur un loup était assez semblable à un galop sur un cheval, mais la course était plus souple et plus aérienne et au lieu du bruit sourd des sabots, il n'y avait que le son feutré les pattes du fauve sur l'herbe. Pour avoir expérimenté les deux, la valkyrie préférait infiniment le loup au cheval. Quand au dieu qu'elle avait en selle devant elle, il avait l'air sans avis. Thrùd éclata d'un rire roulant comme un grondement de tonnerre.

"Pas avant d'être à destination, grec!" hurla-t-elle joyeusement. "Mais va t'en si tu le souhaite je ne te retiens pas!"

Là dessus, elle lâcha son pull et il ne tint plus que par miracle sur le garrot de Sigr. Quand elle estima que la farce avait assez duré, elle le hissa à nouveau en place et recommença à le maintenir, tout en stimulant sa monture à la voix. Ils étaient presque au quartier grec: le climat commençait à se réchauffer. Thrùd arrêta Sigr au niveau des premiers bâtiments, puis jeta son chargement au sol sans ménagement.

"Tiens toi loin de moi à l'avenir, avorton!" s'exclama-t-elle, les yeux étincelants d'amusement à travers les lunettes de son casque.
"La prochaine fois tu ne t'en sortiras pas aussi bien!"

Elle lança un ordre en norrois, qui claqua sèchement dans l'air, et le loup fit volte-face vers le nord.