Sujet: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Mar 30 Juil - 7:10
Si vis pacem, para bellum
Le vent s’était drapé de ses atours les plus sibyllins ; c’était une brise éparse qui chantait à peine dans les feuillages, discrète et mystérieuse, comme pour accompagner l’humeur de Céléno. Elle avait opté pour ses atours les plus simples, s’autorisant seulement une tiare d’argent tressé pour ceindre ses cheveux qui voletaient doucement autour d’elle, encadrant de brun son visage opalescent dont les taches de rousseur semblaient défier la perfection divine de ces terres. Il y avait une beauté dans cette sorte d’imperfection qui poussait les autres à la fixer, à rencontrer son regard hypnotique aux teintes céruléennes pareilles aux draperies d’Eurydice.
D’un pas curieusement leste et déterminé à la fois, elle traversait le quartier le plus chaud de Néméïl avec une grâce naturelle et pourtant maladroite ; tel un oiseau qui sautille lorsqu’il cherche sa nourriture, elle était désormais obligée d’user de ses jambes pour se déplacer. Parfois, la nuit, elle rêvait encore qu’elle volait, passant loin au-dessus des gens, respirant l’air le plus pur qui fût, s’approchant un peu plus du soleil tout en se riant d’Icare. Une époque révolue. Chaque fois, elle se réveillait rageuse et frustrée, ses ongles plantés dans son matelas comme si elle pouvait encore le lacérer de ses serres. Mais non. Ni bec, ni prolongations acérées, ni griffes… Elle fit rouler machinalement ses épaules indécemment graciles, n’ayant plus les muscles nécessaires pour faire battre les ailes qu’elle avait autrefois.
De cet exil hideux, au moins, elle retrouvait l’attrait des complots ; les pieds sur terre, on ne pouvait plus s’occuper à grand-chose, si ce n’était les rumeurs qui couraient la ville et les dieux à charmer. Elle découvrait, aussi, certaines créatures, sous un jour nouveau, leurs mufles parfois repoussants prenant soudainement des traits humains bien plus attrayants. Intéressant. Le hic, c’était que si elle s’attaquait désormais à une population réunissant non plus une mais quatre croyances, elle craignait d’avoir vite fait le tour des divers panthéons et de sombrer dans un ennui aussi mortel. Au sens propre.
Elle repoussa la sinistre idée alors qu’elle arrivait devant la Bibliothèque d’Alexandrie. Ah, elle éprouvait peut-être un certain mépris à l’égard des Égyptiens et des Scandinaves (croyances trop lointaines à ses yeux, même si elle tâchait de garder l’esprit ouvert sur ces religions ridicules au premier abord), elle devait reconnaître que cette bâtisse était une merveille sans nom. Et comme ses informateurs ne se trompait jamais, voilà que sa proie du jour quittait justement le bâtiment en question. Elle coula sur lui un regard appréciateur, dissimula son sourire prédateur sous un autre, plus ironique, plus charmant, avant de s’avancer vers Dionysos. Hm, ivresse, ivresse ! Pourquoi ne l’avait-elle pas rencontré avant ? Et en combien de temps se lasserait-elle de sa compagnie ? Les chuchotis des potins qui couraient sur lui semblaient bien exaltants. Mais tous les hommes, aux yeux de Céléno, paraissaient exaltants au premier abord. Avant qu’elle ne s’en fatiguât ; alors, ils devenaient insipides, la poussant au rejet ou à l’abandon, à la tromperie. Ah, elle était ainsi faite ! Qu’y pouvait-elle si les croyances l’avaient forgée ainsi ?
« Auriez-vous quelques minutes à m’accorder ? »
De but en blanc, elle avait posé sa question dès qu’elle fût certaine d’avoir capté le regard de son interlocuteur. Il y avait peu de monde, dans la rue, et elle s’attira néanmoins quelques regards curieux qui ravivèrent son égo. Elle ne s’y trompait pas, pourtant ; elle savait que son charmant vis-à-vis y était pour quelque chose. Les dieux avaient toujours eu le don d’attirer l’attention. Une des raisons pour laquelle elle en était venue à déprécier la nature. Si elle n’avait pas perdue ses précieuses ailes, peut-être même aurait-elle rit de la situation actuelle. Enfin, celui-ci semblait potentiellement favorable à sa cause, elle ne pouvait pas l’aborder en se montrant trop défiante. Qu’il se gardât bien, néanmoins, de penser qu’il pouvait se servir d’elle à sa guise…
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Mar 30 Juil - 16:18
Si vis pacem, para bellum
Il était là depuis l’aurore, bien avant que la bibliothèque n’ouvre au public en réalité. Dionysos, en bon dieu paria et excessif, avait décidé que si les portes de la bibliothèque ne s’ouvraient pas à lui, alors les fenêtres feraient l’affaire. Il avait pu profiter du monument désert et majestueux, dans un silence presque irréel. Sur Néméil, il n’y avait pas de gardien pour les lieux publics, ils étaient surement employés à d’autres endroits plus stratégiques en tout cas. Il avait erré parmi les allées sombres, grimper sur toutes les échelles, lu des centaines de titres d’œuvres et de parchemins. Il y avait là un mélange subtil de savoir ancestral et de nouvelle technologie qui donnait le tournis. Ça et là, on trouvait un ordinateur en parfait état de marche, mais aussi des papyrus vieux de plusieurs millénaires. Il ne doutait pas que les dieux du savoir et de la connaissance des différentes religions s’étaient déjà attelés à retranscrire un maximum de leur mémoire avant que leur nouvelle condition quasi humaine leur fasse tout oublier. Finalement, il s’était arrêté au rayon des créatures et du bestiaire mythologique. Sa visite n’était pas purement esthétique, il avait des choses à comprendre, à apprendre, essentielles pour la suite de son aventure ici. Il passa plusieurs heures sur le chapitre des harpies, sirènes et autres créatures femelles anthropophages. C’était fascinant, il ne se doutait pas qu’il y eut autant de variétés et de complexités dans les mythes qui, pourtant, se regroupaient sur un point : l’absence de pitié. Il s’arrêta un moment sur une bête égyptienne nommée Aképhalos. En réalité, il comprit qu’elle était en fait la réincarnation d’un criminel qui, dans s vie humaine, avait été puni pour ses crimes par la peine capitale de décapitation. Cela n’était pas ce qu’il pensait aux vues de ses précédentes rencontres, mais ceci expliquait cela…
Au final, Le dieu grec était sorti presque groggy en cette fin de matinée. Il ne fréquentait que rarement cette partie de la ville, préférant dans le quartier égyptien ses bars à chichas et les caves à vins. Les égyptiens étaient un peuple chaleureux, et il s’entendait plutôt bien avec les divinités de leur panthéon. Enfin, surtout les divinités dites Secondaires. Les « grands » étaient du même acabit que ceux de l’Olympe, si Parfaits qu’ils en étaient insupportablement méprisants et hautains. A remettre à leur place, au niveau du pré des vaches donc. C’est alors qu’il ruminait ses pensées égalitaristes et un peu anarchiques qu’il fut interpelé par une illustre inconnue :
« Auriez-vous quelques minutes à m’accorder ? »
Il était perdu dans ses pensées et avait failli rentrer dans la jeune femme de plein fouet. Il releva les yeux pour se rendre compte de qui venait d’interrompre ses rêveries avec tant d’aplomb. De toute évidence, son interlocutrice n’était pas égyptienne : avec son teint diaphane et son regard translucide, elle ne pouvait être que romaine ou slave. Même les grecs ne disposaient pas de beauté de cette finesse et de cette délicatesse, leurs déesses avaient des charmes bien plus prononcées, moins subtiles. Elle avait l’air d’une muse vaporeuse, aux traits si fins qu’ils semblaient dessinés à la plume. Il devait avoir l’air d’un clochard à coté d’elle, avec ses petits yeux tirés par la lecture, sa chevelure en bataille et sa chemise un peu froissée. Il haussa un sourcil, perplexe, avant de reprendre sa contenance. On ne le surprenait pas comme ça que diable, c’était lui, la surprise ambulante !
-Je ne sais pas, combien de minutes souhaites-tu me soutirer ? Parce que là, j’ai soif, et mon temps est de meilleure qualité quand il s’accompagne d’un peu de vin !
Il gloussa, faisant une petite courbette à cette illustre inconnue dont la beauté et la grâce venait de faire trébucher un jeune égyptien qui passait dans la rue. Si elle voulait lui parler, se serait autour d’un verre à la table d’une terrasse ou rien, sinon ce n’était pas drôle !
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Mar 30 Juil - 17:19
Si vis pacem, para bellum
Oh, quel tutoiement impudent ! La brève réflexion en son for intérieur s’accompagna d’un léger froncement de sourcil, puis, aussitôt, elle balaya cette première impression sur son vis-à-vis débraillé ; il n’était pas familièrement hautain, juste un peu cavalier sur les bords. Pas de panique, donc, elle aurait bien l’occasion de se faire une idée plus complète du personnage, loin des échos à son sujet, des rumeurs et autres palabres qui avaient le don d’influencer les esprits bien portants. Puis, la courbette lui plût davantage. Si bien qu’elle ne vit même pas le malheureux trébucher. Lui aurait-elle accordé le moindre regard d’ordinaire ? Tout dépendait du minois…
Elle laissait donc, pour le moment, le bénéfice du doute à Dionysos et reprit aussitôt du poil de la bête. D’un battement de cils, elle reprit contenance et un sourire entendu se dessina sur ses lèvres peintes de carmin. Répondre à sa première question était la moindre des politesses ; comme toujours, Céléno s’affubla d’une franchise doublée de mystères, comme pour conserver le voile sombre qui seyait si bien à son nom. Se montrer énigmatique, c’était faire usage de son charme. Une attitude qui ne l’empêchait pas de communiquer par de multiples moyens : regards, gestuelle… Rares étaient les individus incapables de décrypter instinctivement un acte bien mené ! Alors les dieux, si perspicaces, qu’ils fussent bouffis d’arrogance ou naturellement attentifs, percevaient les petites attentions à leurs égards comme personne…
« Eh bien, tout dépendra de la tournure que prendra notre conversation… »
Elle laissa sa phrase en suspens, non pas pour lui laisser l’occasion de poursuivre, mais plutôt pour lui indiquer, par une obscure intonation, qu’elle désirait discuter sérieusement. Au contraire, s’il ne s’avérait pas à la hauteur de ses attentes, elle ne comptait pas s’éterniser dans un entretien stérile ; l’ennui la guettait peut-être, mais pas au point, encore, de perdre son temps.
D’un ton plus chantant, elle poursuivit, inclinant légèrement la tête sur le côté, ses yeux brillant de ravissement ; comme souvent, ses préparatifs n’avaient pas été vains, et cette simple démonstration de sa propre intelligence l’enorgueillissait :
« Je me suis doutée qu’il faudrait réunir des conditions plus favorables à la discussion. J’ai d’ores et déjà réservé une table, juste en face, si cela vous agréé. »
Elle-même ne dirait pas non à un encas digne de ce nom et à un verre de vin. Bien entendu, si son interlocuteur avait d’autres préférences en matière de terrasses, de verres, de milieux et autres détails nés de caprices dont elle-même saurait faire preuve, elle n’y prendrait pas ombrage. Son invitation avait juste pour but de lui faciliter la tâche. S’il fallait se montrer patiente et traverser Néméïl pour parvenir à ses fins, elle s’en accommoderait tout autant. L’agacement ne viendrait que potentiellement, si ses efforts n’aboutissaient à rien de concluant.
Si son illustre interlocuteur n’avait pas fait preuve de son ignorance, elle se doutait qu’il ne savait rien d’elle – n’aurait-il pas, sinon, émis un quelconque commentaire sur l’honneur qu’elle lui faisait en acceptant de le rencontrer ? – et celui ne lui plut guère. Une honte ; une harpie de son acabit, ne devait pas demeurer inconnue. Néanmoins, elle était prête à lui pardonner cette bévue : il était grec, elle romaine, et si les deux religions étaient en étroite relation, quelques lacunes persistantes pouvaient encore être compréhensibles.
Magnanime, elle daigna donc se présenter, inclinant brièvement la tête pour saluer son interlocuteur. Geste poli et léger, relevant sa grâce, mais aussi sobre, tant et si bien qu’il était évident qu’en rien elle ne désirait être soumise. On pouvait y lire, aussi, un remerciement pour le temps accordé. Cela restait, néanmoins, tout conditionnel : Céléno n’était experte en civilités et autres courtoisies que lorsqu’elles étaient adressées à sa seule personne.
« Je suis Céléno, la harpie. »
Présentation presqu’affable. C’était que ces mots, chaque fois, lui nouait les entrailles. Qu’était une harpie sans ses ailes, sans ses dons ? Préciser sa nature, c’était éprouver de nouveau le sentiment de perte, de néant qui, implacable, s'appliquait à la terrasser.
Fut un temps, révolu hélas, où personne n’aurait pu se fourvoyer.
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Jeu 1 Aoû - 16:01
Si vis pacem, para bellum
Dionysos tutoyais les gens. Il tutoyait de la même façon les dieux, les créatures, les humains. Il tutoyait les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux. Le tutoiement effaçait tout jugement sur la personne, ne marquait ni respect ni ironie déplacée, contrairement à un vouvoiement sournois. A ses yeux, c’était un signe d’honnêteté, et seuls les gens avec une trop grande estime d’eux même se vexaient de sa façon de parler. Et enfin, c’était sa manière d’inviter son interlocutrice à faire de même. Il voulait que l’on voie en lui une personne, pas un dieu. Etre un dieu n’était que secondaire pour lui, et encore plus maintenant qu’il était sur l’ile. Il n’avait jamais tiré de fierté particulière dans sa condition divine.
Heureusement, la jeune femme ne semblait pas l’avoir pris trop personnellement. Il avait décelé un peu de surprise dans son regard, mais elle s’était constituée un masque de bienveillance et de charme absolument parfait, du grand art ! Il répondit à ses œillades par un haussement de sourcil, alors qu’elle sous entendait que la durée de leur discussion ne dépendrait que de lui ! Ah, les petits mystères et les airs un peu dramatiques, il adorait ça, c’était Tellement théâtral ! C’était typiquement le genre de mise en scène dont il se délectait, et le meilleur moyen d’attirer son attention. Surement s’était-elle bien renseignée sur lui avant de l’aborder de manière aussi spéciale.
-Oh, j’espère alors que je serais à la hauteur …
L’inconnue poursuivit son discours, de toute évidence parfaitement rôdé, qu’elle accompagnait de gestes tout aussi calculés et gracieux. En plus, elle avait du gout, car le restaurant dans lequel elle avait réservé était parmi les meilleurs de toute la ville, tous quartiers confondus. Il fallait une chance incroyable pour avoir une place de libre, surtout en terrasse, surtout à l’heure du repas ! Décidément, elle employait l’artillerie lourde, et visait bien. Il n’était pas un dieu farouche, et son caractère naturellement curieux faciliterait grandement la tache de la harpie. Si elle se donnait tant de mal pour qu’il lui accorde une entrevue, de quel droit lui refuserait il ? Il n’avait pas l’égocentrisme de se croire assez important pour sélectionner ses interlocuteurs quand ils se présentaient à lui.
-Si la table est réservée, il serait impoli de décommander au dernier moment ! Et puis j’ai tellement faim … Mais je te prie de bien vouloir me tutoyer… c’est assez destabilisant de se faire vouvoyer après des millénaires de familiarité ….
Céléno, la harpie … décidément, à croire que ces créatures là le traquaient ces derniers temps ! Il ne put réprimer un petit sourire moqueur.
-Céléno… Pardonne-moi de ne pas t’avoir reconnu, la dernière fois que j’ai vu l’une de tes représentations sur papier, tu avais des griffes autrement plus impressionnantes… et quelques plumes en plus. Je suppose que ma présentation est purement superficielle… Mais je suis Dionysos, dieu grec de l’ivresse, de la tragédie, de l’excès et du désordre. Enchanté et intrigué de faire ta connaissance.
Il était taquin, comme toujours, mais c’était sa façon de tester la personne en face de lui. Il était un peu insolent, mais jamais méchant, du moins jamais sans raison. En l’occurrence, la jeune femme avait fait de grands efforts pour préparer leur rencontre, sans qu’il ne connaisse encore la raison de tant de soin. Que lui voulait elle au final ? Il l’avait appris il y a peu, mais avec les harpies, rien n’était gratuit. Et encore moins leur gentillesse. Il suivit donc Céléno sur la terrasse du restaurant égyptien, où un serveur les attendait pour les mener à leur table. Galamment, il recula la chaise de cette dernière pour qu’elle s’assoit, et commanda immédiatement un vin au miel au serveur, une spécialité du nord de l’Egypte très apprécié par les connaisseurs comme apéritif. C’était frais, léger, et rafraichissant, parfait pour débuter une conversation. Une fois assis à son tour, le dieu planta son regard clair dans celui de la jeune femme, posant son menton sur ses doigts qu’il venait de croiser, se penchant légèrement au dessus de la table :
-Alors Mademoiselle la harpie … que puis-je faire pour toi ?
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Jeu 1 Aoû - 19:39
Si vis pacem, para bellum
La remarque sur le tutoiement ne lui arracha qu’une approbation désinvolte. Pas question de rudoyer Dionysos en le privant d’une marque familière qu’il affectionnait particulièrement. Elle devait admettre, aussi, que cela lui ôtait une épine du pied : le tutoiement de son interlocuteur paraissait moins insultant ainsi, non pas dans le sens qu’il voulût lui manquer de respect, mais plutôt qu’elle se sentait inférieure à faire marque d’une politesse exagérée quand lui glissait dans un flegme amical avec aisance et taquine sympathie. Ce point réglé, ils pouvaient se rendre à leur luxueuse table réservée à quelques pas de là.
En revanche, la remarque sur sa… représentation fut accueillie d’un froncement de sourcil désapprobateur. Elle ne sut si elle devait s’attarder sur sa propre bêtise – quelle sotte elle faisait, évidemment qu’elle était méconnaissable sous cette apparence affreusement ridicule et humiliante ! – ou plutôt se pâmer d’être ainsi reconnue. Elle opta pour une franchise imparable qui faisait qu’on la qualifiait un peu à tort d’honnête – car si elle disait ce qu’elle pensait, en rien elle n’était quelqu’un qui se versait dans une vie qualifiée d’honnête – et, avec une moue mi espiègle, mi réprobatrice, elle déclara d’un ton bas :
« Ce n’est pas très joli, de remuer le couteau dans la plaie. »
Elle décréta néanmoins que l’affront n’en était pas un et laissa échapper un léger rire distingué, de ceux qui signifiaient qu’elle goûtait volontiers à l’ironie de l’instant mais qui dissuadait fort de réitérer l’expérience.
Traverser la rue en si bonne compagnie avait le don d’attirer les regards. L’apparence de Dionysos, sans aucun doute, ferait courir les rumeurs. Cela ne dérangeait pas le moins du monde Céléno. Cela ne ferait qu’ajouter un peu de légende à son tableau de chasse et à ses frasques…
La galanterie de son invité lui arracha un sourire plus sincère et elle s’empressa de passer commande aussi : le vin au miel étant trop sucré pour elle, elle opta davantage pour quelque chose de plus fruité, léger toujours, un vin dont la robe serait d’une teinte semblable à ses lèvres mais d’une limpidité rafraîchissante. Elle savait apprécier, aussi, ceux qui étaient davantage capiteux. Il fallait, néanmoins, que les conditions s’y prêtèrent et, à l’heure actuelle, elle préférait de loin garder les idées claires. À cela, elle ajouta un plateau de fruit plutôt populaire – grecs et romains étaient réputés pour leurs banquets incessants – et décida que s’ils en venaient à prendre un vrai repas, elle opterait certainement pour un carpaccio. Si son anthropophagie était mise à mal par les circonstances, elle ne perdait pas son goût prononcé pour la viande crue.
Une fois servie, elle consentit à répondre :
« Tu connais l’adage : ‘’si tu veux la paix, prépare la guerre’’ ? Eh bien, c’est la raison pour laquelle je suis venue vous trouver. »
Elle trempa les lèvres dans son verre de vin ; un geste délicat et assuré à la fois, mais qui lui permettait aussi le temps de bien peser la suite de son explication. L’approche était un art diplomatique dans lequel elle excellait d’ordinaire. Néanmoins, elle avait conscience que, cette fois-ci, elle s’attaquait à un bien plus gros morceau, et qu’il s’agissait d’un jeu bien plus dangereux. La perspective, pourtant, l’emplissait d’une ivresse bien grisante, mélange de joie et de crainte, et la conviction, aussi, qu’elle se battait pour un objectif bien précis. L’enjeu était trop important pour qu’elle pût s’y méprendre et le chemin de la grandeur à laquelle elle aspirait se dévoilait à ses desseins.
La saveur sucrée et légèrement acide à la fois du vin qu’elle avait commandé sur son palais la ravît ; le délice que cela lui inspira était conforme à ses exigences et elle poussa un léger soupir de contentement avant de reporter son regard sur le dieu accoudé face à elle. L’hypnotisme qu’elle dégageait, dont elle usait et abusait sans cesse, avait-il le moindre effet sur un personnage aussi singulier ? Une partie d’elle l’espérait. L’autre désirait un défi plus que tout. Après tout, les proies faciles conduisaient à l’ennui et elle abhorrait l’ennui.
Elle poursuivit, donc, d’un ton égal – parler trop bas attirerait les soupçons et leur table était suffisamment isolée – mais ses lèvres s’incurvant légèrement en un sourire en coin :
« C’est que, vois-tu, je suis assez douée pour démêler les pelotes de rumeurs fantasques, et j’aimerai beaucoup savoir si celles qui te concernent sont à la hauteur de mes espérances. »
Cela, et son petit oiseau favori qui l’avait mise sur la voie.
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Jeu 1 Aoû - 21:11
Si vis pacem, para bellum
Dès que son pichet de vin fut posé sur la table, Dionysos se servit une large rasade, et l’avala d’un trait, d’un geste presque vulgaire si lui-même n’était pas aussi charmant. A présent, le beau dieu grec n’avait plus du tout sommeil. L’alcool avait un effet formidable sur son métabolisme, et cela additionné à la curiosité l’avait sorti de la torpeur dans laquelle l’avait plongé sa fastidieuse étude de manuscrits. Il avait certes l’habitude que les gens viennent l’interpeler de manière totalement aléatoires dans la rue ; parfois c’était pour lui demander où se déroulerait sa prochaine fête, parfois pour lui proposer du travail, ou au contraire le convier à un certain nombre de festivités. Chacun savait que c’était un excentrique, mais qu’il faisait partie des dieux les plus accessibles de l’Olympe et de toutes les mythologies confondues. Ce coté populaire lui convenait, et lui permettait de se tisser un maillage de connaissances et d’informateurs, volontaires ou non, déjà bien développés sur l’île. Il n’y avait pas de dieu mieux informé que lui ici. En tout cas, personne n’ayant aucun pouvoir de divination. Il pencha légèrement la tête sur le coté, se servant un autre verre, de manière moins fébrile cette fois ci, quand elle le rabroua gentiment concernant son changement d’apparence. Ça devait être dur de perdre ce qui faisait son essence même, des attributs physiques qui faisaient parties intégrantes de soi. Que ferait il sans ses jambes ou ses bras. Sans ses pouces ? C’est ça, une harpie sans aile ni serre est comme un humain sans pouce. Elle perd une proportion énorme de ses capacités, en plus du choc psychologique. Il devrait vraiment faire plus attention avec ça, il avait déjà fait l’erreur avec Azelle. Et vexer une harpie n’était pas la chose la plus maline à faire.
-Oh, je me dis que rien est immuable… qui sait si les ailes des harpies et les queues des sirènes ne vont pas repousser une de ces nuits … il se passe tellement de choses ici que ce ne serait qu’à peine étonnant. Intéressant, mais pas étonnant.
Et il le pensait vraiment. Il y avait des choses sur lesquelles les dieux n’avaient aucune emprise ici, sur Néméil, et il arrivait parfois qu’un évènement vienne basculer l’équilibre des forces, sans que l’on sache le pourquoi du comment… C’était pour cela que le dieu adorait se trouver ici, contrairement à la grande majorité de ses homologues divins. Lui qui vivait sa vie comme un jeu éternel, avait enfin l’impression que les dés n’étaient plus pipés par une quelconque divinité mégalo. Et si le jeu était truqué, le fait de ne pas savoir par qui le ravissait. Il ne s’ennuyait jamais une seconde ici, et c’était très bien comme ça.
Le serveur ne tarda pas à déposer sur leur table un large plateau de fruits frais qui lui mirent l’eau à la bouche. Il n’y avait rien d’excentrique, mais des fruits à l’apparence si mûre et juteuse qu’il ne savait pas par lequel commencer. Et il y en avait bien pour deux personnes affamées. En bon grec, il attaqua néanmoins par une grappe de raison. De plus, c’était un fruit facile à manger tout en parlant, sans prendre le risque de le cracher sur son interlocuteur. C’était quand même plus distingué.
« Tu connais l’adage : ‘’si tu veux la paix, prépare la guerre’’ ? Eh bien, c’est la raison pour laquelle je suis venue vous trouver. »
Il continua de la fixer, sans réaction particulière, si ce n’est qu’il se redressa lentement sur sa chaise, portant ses raisins un par un à la bouche. Evidemment qu’il connaissait cet adage, que lui avait répété maintes et maintes fois sa chère Athéna de sœur. Mais pour l’instant, il ne savait pas vraiment où elle voulait en venir : il n’était pas u dieu de la guerre, et encore moins un dieu guerrier. La guerre pour lui n’était qu’un gaspillage d’énergie, et chez les grecs, elle ne jouissait même pas du bonheur des champs de bataille chaotique, tant les lois guerrières étaient strictes et les combats encadrés. S’en était abrutissant d’ennui.
Il ne voulait néanmoins pas décevoir sa charmante hôte, qui plaçait apparemment quelques espoirs dans ces sous entendus belliqueux. Elle ne semblait pas tout à fait sur d’elle, passant du Tu au Vous dans la même phrase, enchainant les petites gorgées de vin comme pour gagner du temps à réfléchir sur sa prochaine phrase. Sans mauvais jeu de mot, la harpie marchait sur des œufs. Il lui laissa donc le bénéfice du doute et ne commenta pas cette perche qu’elle lui tendait un peu dans le vide. Il n’allait pas se risquer à répondre à coté de la plaque. Il préféra attendre que la jeune femme reprenne, avec ce même ton assuré et fier, qui devait surement faire son charme depuis des siècles entiers : « C’est que, vois-tu, je suis assez douée pour démêler les pelotes de rumeurs fantasques, et j’aimerai beaucoup savoir si celles qui te concernent sont à la hauteur de mes espérances. »
Il haussa un sourcil avant de glousser légèrement, scindant un grain de raisin en deux entre ses dents d’un coup de mâchoire sec.
-La pelote des rumeurs me concernant s’apparente plus au nœud Gordien qu’à une bobine de laine. Je pense que moi-même je ne saurais distinguer à cent pour cent le vrai du faux, c’est ce qui fabrique une légende. Et si tu veux mon avis… la plupart d’entre elles ne sont qu’une vérité édulcorée, je suis surement pire en vrai.
Ce n’était pas tout à fait exact sur tous les points, mais il soulignait la une chose qui devrait rester gravée dans l’esprit de la jeune femme : le dieu grec avait sa propre conception de la vérité et du mensonge. Il n’était pas mythomane, mais en habile manipulateur, il savait quoi dire et quelle quantité d’informations donner pour satisfaire sans trop se dévoiler. Pas tout de suite du moins. Il reprit une gorgée de vin, gorgée bien plus franche que celle de Céléno, avant de reprendre d’un ton parfaitement tranquille, comme si il parlait du ciel bleu et de ses prochaines vacances.
-Alors je pense que le moins fatiguant pour toi serait de me dire ce que tu as entendu, ce que tu crois savoir et ce que tu aimerais comprendre. Parce qu’en général, je suis bien meilleur en devinette quand c’est moi qui les pose …
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Lun 5 Aoû - 9:05
Si vis pacem, para bellum
Céléno ne s’était jamais laissée aller à ces faiblesses puériles, de celles qui vous transportent un instant et qui se muent peu à peu en un fébrile désespoir. Recouvrer son ancienne apparence ? Et pourquoi ne pas revenir sur Terre aussi ? Elle n’y croyait pas, et le fit clairement comprendre en haussant un sourcil narquois. Oh, il se passait bien des choses étranges sur cette île, elle n’en doutait pas. Mais ces lieux se montraient davantage pernicieux que bienveillants à l’égard des Dieux et des créatures ; si jamais il lui repoussait des ailes, ce serait une joie éphémère, un espoir gonflant dans sa poitrine pour être ensuite crevé comme un vulgaire ballon de baudruche. Une telle expérience la flétrirait encore plus, le souvenir déjà vivace n’en serait que plus intense, les cauchemars plus fréquents, la frustration plus dévastatrice. Non, elle avait beau chérir sa nature, pour rien au monde elle ne souhaiterait être le sujet d’une expérience aussi vicieuse que cruelle. Elle excellait suffisamment dans ces domaines pour ne pas vouloir en être la proie à son tour.
Sa propre hésitation l’agaça, de même que la réponse de Dionysos. Elle pencha la tête sur le côté, légèrement en oblique, de cette manière qu’ont généralement les oiseaux. Son regard s’étrécit aussi, tandis qu’elle sondait son excentrique vis-à-vis. Et on ne pouvait guère se tromper sur la nature de cette attitude, l’accusation était bien palpable : pourquoi donc serait-elle la seule à prendre des risques ici ? Non pas qu’elle eût l’impression d’avoir beaucoup à perdre, mais plutôt qu’elle n’appréciait guère le manque d’équité de l’échange. Au moins, il avait raison sur un point : il n’était pas question de s’attarder sur les rumeurs les plus futiles. La preuve ? Un prétendu joueur qui détournait les soi-disant « devinettes ». Un soupçon de déception vint ajouter un côté boudeur à la moue de Céléno ; il ne s’agissait pas de se confectionner un masque, pas plus que de dissimuler son hésitation – quel être sensé irait se jeter tête la première dans un plan pareil ? – mais bel et bien de communiquer. Elle ne comptait pas tromper Dionysos sur la marchandise : loin d’être parfaite, Céléno n’était pas juste une créature envoutante, elle était aussi vive d’esprit que prudente, et elle ne tarderait pas à rebondir. Elle attendait juste de se faire une plus vaste idée de son interlocuteur.
Le premier aperçu lui déplût. Soit, elle pouvait comprendre le besoin de franchise, l’agacement qui pouvait naître lorsque quelque impudente s’amusait à tourner autour du pot. Et la tournure directe que prenaient les événements laissait probablement moins de place aux ambiguïtés, et donc à la manipulation. Parce qu’il serait du genre à la manipuler, non ? Il lui semblait bien déceler ce message dans sa réplique amusée. La perspective ne lui plaisait pas. Être un vulgaire outil entre les mains d’un Dieu, c’était bon pour les humains. Maintenant qu’ils n’étaient plus là, elle ne comptait pas prendre leur place, se répéta-t-elle. Cette litanie s’était ancrée en elle, comme pour lutter contre sa condition actuelle. Et quelque part, elle était aussi extrêmement satisfaite de trouver tant d’aplomb chez Dionysos, derrière le voile de désinvolture enivrée qui semblait le caractériser au premier abord. Il fallait bien cela, pour arriver à quelque chose. Pire en vrai, donc ? Elle n’en attendait pas moins, dans le fond.
Son avis partagé se manifesta donc par une lueur appréciative dans le regard et un ton légèrement plus froid lorsqu’elle s’exprima, de façon bien plus spontanée cette fois :
« J’ai entendu dire que tu aspirais à faire descendre les ‘grands’ de leur piédestal ; je crois savoir que pour ce genre d’entreprise, des alliés sont bienvenus et j’aimerai bien comprendre quelle place ont les créatures dans ce nouvel ordre social. »
Elle saisit une figue sur le plateau, qu’elle éplucha partiellement avant de mordre dans la chair pulpeuse du fruit, ni trop mûr, ni trop vert, comme elle les aimait. La texture particulière contre ses lèvres et dans sa bouche l’avait toujours fascinée. Elle ne s’y attarda pas, pourtant, préférant guetter les réactions sur les traits du Dieu. Que déduirait-il de la concision de sa réponse ? Qu’elle souhaitait lui soumettre toutes les créatures comme on délivre une armée d’esclaves ? S’il s’engageait sur ce chemin, il y avait de forte chance pour qu’elle quittât la table, l’arrosant copieusement d’insultes et de vin. Elle aurait pu se montrer plus exhaustive ; l’option du long discours, néanmoins, ne lui avait demandé qu’une fraction de seconde de réflexion avant d’être rejeté. Il était tout d’abord hors de question de s’exposer sans connaître la véritable position de Dionysos. Ensuite, elle prenait son conseil au sérieux : elle mettait de côté les rumeurs et attendait qu’il lui donnât sa propre explication.
Tandis qu’elle s’essuyait la commissure des lèvres pour en débarrasser du jus de figue, son regard se planta dans celui de Dionysos, comme pour lui signifier combien elle serait exigeante sur sa réponse. Encore fallait-il que cela importe au Dieux aux gestes si détachés…
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Mar 6 Aoû - 18:56
Si vis pacem, para bellum
Le dieu grec ne doutait pas que son comportement fuyant et évasif était parfaitement insupportable pour une personne telle que la harpie, qui avait fait tant de chemin pour le rencontrer et partager un moment avec lui. Cependant, n’allez pas croire que l’éternel n’était pas conscient de ce qu’il faisait. Il savait d’expérience, et pas forcément d’expérience heureuse, que les harpies avaient besoin d’être un peu bousculées. Elles n’aimaient pas les personnes trop lisses, trop conciliantes, qu’elles assimilaient plus à un casse croute qu’à un interlocuteur digne de ce nom. Alors soit il fallait leur en mettre plein la vue, soit les surprendre, en les prenant au contre pied de ce qu’elles attendaient de vous. Et c’est ce qu’il faisait en ce moment même, alors que le regard de la créature le disséquait froidement. Que pensait elle de lui déjà ? le moindre de ses mots semblaient être pesés et analysés. Allait elle le manger au dessert ? La perspective était peu probable, mais pas réjouissante. Pourtant, elle ne semblait pas encore tout à fait déçue, et son regard opalescent s’allumait tantôt d’agacement, tantôt d’intérêt. Il fallait juste qu’il arrive à mettre le doigt sur ce qui intéressait foncièrement la jeune femme, pour pouvoir lui dire ce qu’elle voulait entendre, ou pas.
« J’ai entendu dire que tu aspirais à faire descendre les ‘grands’ de leur piédestal ; je crois savoir que pour ce genre d’entreprise, des alliés sont bienvenus et j’aimerai bien comprendre quelle place ont les créatures dans ce nouvel ordre social. »
C’était donc ça… Il ne put s’empêcher de sourire dans ses moustaches, dissimulé derrière son verre. Décidément, ce genre de chuchotements allait de bon train parmi les créatures, et il s’étonnait même qu’aucun dieu ne soit venu lui demander des comptes ces derniers jours. En même temps, les harpies, nymphes et autres incarnations étaient peut être assez malines pour tenir leur langue en présence de ceux qu’ils voulaient faire tomber, et ce n’était pas plus mal. En revanche, que l’on puisse l’imagine en chef de révolution, c’était assez drôle ! Lui qui n’avait rien d’un combattant ni d’un leader, on portait à présent quelques espoirs en lui, risible ! Jamais de sa vie divine ses congénères ne lui avaient prêté quelque dessein. Pour les autres dieux, il n’était qu’une vaste plaisanterie, un organisateur de mariages, un traine savate plus humain que les humain. Rien de dangereux en somme. Il attrapa un dernier ensemble de raisins, et releva le regard pour le planté dans celui, implacable de Céléno. Il employa alors un ton assez particulier, à la léger et déterminé : - Cela en fait des on-dit … Et cela en fait des questions…
Il sentait qu’ils arrivaient à un nœud de la conversation. S’il répondait mal, celle-ci tournerait court. Et pourtant, il ne pouvait lui mentir outre mesure :
- En effet, j’ai quelques … projets d’émancipation vis-à-vis des anciens dieux majeurs, qui n’ont plus de majeur que l’égo. Et il n’y a pas à comprendre quoi que ce soit sur un ordre social préconçu. Je suis le dieu des excès et du désordre. Par le dieu d’un idéologie tordue. La place qu’auront créatures, demi dieux, veaux, vaches et cochons, honnêtement, ce ne sera pas mon problème. Alors si tu veux installer un règne des harpies sur l’île, ou une tyrannie de Dame Céléno, je m’en contrefous complètement, tu auras le champ libre pour ma part. C’est le changement qui m’intéresse plus que celui qui gagnera à la fin.
Il posa son verre tranquillement sur la table, laissa à la harpie le loisir de digérer cette révélation. Car sa révolution était totalement inédite au regard des tradition humaine. Il ne voulait pas renverser le pouvoir pour devenir le chef. Il voulait renverser le pouvoir parce que c’était de sa nature et que la curiosité le poussait à le faire. Enfin, il était vrai qu’il avait quelques comptes à rendre avec les grands de sa propres mythologies, mais ses intérêts personnels n’auraient pas dû, en théorie, le faire s’attaquer aux divinités étrangères. Et pourtant …
- J’ai vécu, et je vis encore, en cotoyant bien plus les demis dieux, les créatures et les mortels, enfin les mortels de naissance, qu’avec mes semblables. Les dieux ne sont pas tous des gens intéressants, et encore moins des gens futés. Et je pense qu’il n’y a rien de plus ennuyeux et frustrants que de laisser la place belle à des crétins sans aucun contact avec la vraie vie. Et c’est ce qu’ils sont devenus, des reliques d’un temps où on les admirait, pensant tout savoir et tout connaitre. Mais met dans les mains d’un gars comme Hadès ou à Artémis un téléphone portable, et je peux t’assurer que tu aurais de quoi rire les dix prochaines années. Alors si les dieux sont obsolètes, et à présent faillibles, ils doivent prouver qu’ils sont encore crédibles dans leur rôle. Sinon ils ne sont ni plus ni moins qu’une perte de temps.
Ses paroles pouvaient paraitre d’une violence inouïe pour n’importe quel dieu bien pensant. Mais Dionysos n’était pas un être politiquement correct. C’était un rêveur, un idéaliste, un visionnaire, le genre de drôle de type que l’on ne prend au sérieux qu’une fois qu’il vous a mis à terre avec une classe et une aisance démoniaque. Et surtout, il était convainquant, parce que lui-même convaincu de ce qu’il disait. Si la harpie voulait un trône, elle n’avait qu’à se servir. Mais pour se servir, il fallait dans un premier temps le suivre. Et faire une partie du sale boulot à sa place, c’était le deal ….
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Mar 13 Aoû - 18:14
Si vis pacem, para bellum
Effectivement, Dionysos ne se trompait pas en se comportant de la sorte avec Céléno. Un caractère trop conciliant aurait attiré désintérêt ou suspicion. Un caractère trop emporté l’aurait fait monter sur ses grands chevaux. Le calcul habile avait parfaitement abouti, puisqu’elle était aussi disposée qu’elle pouvait l’être – sauf s’il avait plutôt mis l’accent sur son charme, s’entend, mais alors là, la discussion aurait pris un tout autre cours…
Était-ce un sourire qu’elle décelait dans son regard ? Céléno, à défaut de pouvoir directement s’intéresser à (l’appétissante) la révélatrice bouche de son vis-à-vis, elle décortiquait soigneusement les autres signes expressifs : coin des yeux, mouvements de sourcils, souffle régulier…Tout le temps de ce discours, elle le scruta de son regard perçant, cherchant à déceler la moindre trace de mensonge, le moindre signe de moquerie, la moindre once de tromperie. Mais, pouvait-on prétendre à tromper quelqu’un avec des demi-vérités, pouvait-on se moquer en parlant d’un sujet si sérieux, pouvait-on dénoncer sans s’exposer ? Céléno ignorait encore si elle pouvait lui accorder sa confiance, et cela se sentait – volontairement – dans son attitude. S’il voulait faire d’elle son alliée, il faudrait être davantage convainquant, lui faire miroiter ce qu’elle désirait sans donner l’impression de la manipuler. D’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher de penser, en dépit de son ego surdimensionné, à la perspective où Dionysos n’aurait que faire d’elle. C’était bien probable, après tout, qu’il la considérât inapte ou trop ambitieuse pour ce genre d’entreprise. Alors il la dénigrerait et… tout le monde sait combien la fureur de Céléno, d’être ainsi rejetée et sous-estimée, serait fulgurante.
La surprise passa sur son visage, éclaircissant ses yeux ; sa bouche entr’ouverte laissa échapper un souffle, dans lequel on pouvait déceler un soupçon d’offuscation.
« Règne ? Tyrannie ? Tu as peut-être entendu parler de moi comme meneuse de clique à becs et serres, mais de là à asseoir mon autorité sur l’île… »
Elle secoua la tête face à la sottise de l’idée, balançant par la même occasion quelques boucles brunes s’échappant de sa tiare. Ah, ça, non ! Comment trouverait-elle le temps de jouer de ses charmes si elle devait sans cesse déjouer les tentatives d’assassinats et mobiliser ses pions sur l’échiquier de la politique ? Elle aimait son rôle de meneuse parmi les siennes, car cela lui conférait un pouvoir tout particulier sur les hommes ; elle demeurait néanmoins dans son élément, connaissait celles qui la suivaient et ses ennemies étaient des plus divertissantes. Son rôle la posait à la fois comme une protectrice et créature sans pitié ; le plus intéressant résidait néanmoins dans les tribulations et les potins que cela impliquait. Le pouvoir, certes, mais à doses modérées.
Le concept d’émancipation, au premier abord, lui plaisait. Après sa brève intervention, elle laissa un sourire satisfait poindre sur ses lèvres, le carmin rehaussant la blancheur de ses dents – trop carnassières pour un oiseau inoffensif.
« Mon seul souhait est d’obtenir la certitude que les créatures ne soient pas piétinées comme les humains l’ont été », révéla-t-elle alors, un peu plus sûre d’elle.
Lui révéler ses ambitions aurait peut-être le bénéfice de l’encourager à trouver un accord. Dans le cas contraire, elle n’y perdait rien ; elle profiterait de la situation d’une façon ou d’une autre et, à moins qu’un dieu quelconque eût une envie particulière de s’en prendre en créatures, elle ne risquait rien : ses aspirations étaient, ainsi présentées, plutôt nobles. La seule chose dont on pourrait lui tenir rigueur serait le fait de fomenter avec quelqu’un dont l’émancipation pouvait potentiellement se faire extrême. Et cela même signifierait que cette personne hurlait ses plans sur tous les toits. Un peu trop voyant. Bien entendu, Céléno n’ignorait pas que tout était bien plus complexe, que les rumeurs se manipulaient, s’exploitaient pour mieux détruire, que se salir les mains pour ébranler sa sécurité relative ne requerrait que peu d’efforts. Elle avait juste suffisamment confiance en elle pour pouvoir retourner la situation à son avantage si cela s’avérait nécessaire.
La harpie se délecta bien plus des propos de son interlocuteur que de son plat. Son vin lui parût soudain un peu fade, inapproprié pour cette conversation. Elle reposa son verre sans grande conviction, et riva son regard dans celui de Dionysos, une fois de plus. Elle n’était pas de ces femmes au regard timide et fuyant, mais de celles qui préféraient la confrontation directe. La violence apparente de ces dires, ce que cela impliquait dans sa vision du monde, lui convenait parfaitement. Cédant à son tic – entortillant donc une mèche entre ses doigts – elle admira l’éloquence du Dieu, non sans avoir une pensée ironique, le qualifiant intérieurement de beau parleur, au profil rebelle, s’entendait. Toujours était-il que celui-ci n’entrait dans aucune case préconçue dans la « classification des mâles selon Céléno ».
« J’avais remarqué, aussi, leur tendance à être insipides depuis qu’ils sont tombés de leur joli petit nuage. »
Céléno, bien plus avare en parole que son vis-à-vis, préférait de loin les piques brèves et ciblées plutôt que les longues tirades. Sa simple réplique s’accompagna d’un haussement d’épaules, marquant son accord de cette touche désinvolte. Les dieux, ces grands qui se pavanaient autrefois, n’étaient effectivement plus grand-chose. Et elle commençait à apprécier le franc-parler et la vision des choses de celui qui lui faisait face. Ce fut probablement la raison pour laquelle elle poursuivit, sans aucun détour :
« Partageras-tu donc ces plans avec moi, ou suis-je dénuée de toute utilité concernant tes projets ? »
Elle avait conscience que sa question était précoce, mais la confiance devait s’avérer réciproque : c’était au tour de Dionysos de faire un pas en avant s’il désirait cette collaboration. Et s’il n’était pas d’accord, alors elle lui donnait là l’opportunité de détourner la proposition avec aisance. Elle le prendrait mal, assurément, mais cela n’était qu’une autre histoire. Quant à la formulation, elle était bien trompeuse, un piège destiné à mieux jauger ou complaire : gare à lui s’il considérait Céléno comme un outil simplement parce qu’elle se référait à elle-même comme étant potentiellement utile.
InvitéInvité
Sujet: Re: Si vis pacem, para bellum {Dionysos} Jeu 15 Aoû - 17:03
Si vis pacem, para bellum
Décidément, Le beau dieu grec goutait de plus en plus à cette rencontre inattendue. Céléno était clairement le type d’interlocutrice qui le stimulait ; elle était aussi attirante physiquement que mentalement, avec un mélange de finesse et de sauvagerie, un raffinement naturel mais acéré. Il y avait du défi, et c’était tout ce qu’il demandait. De toute évidence, la perche qu’il lui avait tendue concernant une potentielle prise de pouvoir n’eut pas l’effet escompté, si tant est qu’il avait envisagé un effet plus qu’un autre. La jeune femme avait réagi bien plus spontanément qu’en amont de la conversation, ce qui était plutôt bon signe ; la harpie baissait lentement mais surement la garde. Et sa réponse se fit plus cinglante qu’à l’habitude :
« Règne ? Tyrannie ? Tu as peut-être entendu parler de moi comme meneuse de clique à becs et serres, mais de là à asseoir mon autorité sur l’île… »
Bim, ça, c’était fait, au suivant ! le dieu hocha simplement la tête avec un air de « bien, comme tu voudras », ne quittant plus la jeune femme des yeux. Son esprit galopait à toute allure. Il avait dans l’idée que les harpies étaient des créatures très, très ambitieuse, mais n’était ce que le cas d’ Azelle, du fait de son jeune âge ? C’était apparemment une race bien plus complexe qu’il pouvait l’imaginer, et il avait fait preuve de naïveté, si ce n’est de bêtises, à vouloir établir un stéréotype après si peu de temps. Il devait se montrer plus subtil et délicat que cela. Heureusement, il n’avait pas tout raté lors de sa diatribe, et la jeune femme le gratifia d’un sourire aussi charmeur que menaçant. Un court instant, il visualisa même sans trop de peine un bec à la place de sa bouche courbé et tranchant, prêt à lui arracher la carotide.
« Mon seul souhait est d’obtenir la certitude que les créatures ne soient pas piétinées comme les humains l’ont été »,
-Je pense que là-dessus, nous sommes on ne peut plus d’accord. Je suis bien plus attaché aux créatures et aux demis dieux qu’à mes homologues. Si un choix était à faire, il l’est sans aucune hésitation. * il omit volontairement les humains, ne sachant trop comment la harpie se situait vis-à-vis de ses anciennes proies*. J’ai été élevé par des nymphes, Mes principales fréquentations furent pendant longtemps les satyres, les sirènes et autres créatures hybrides. Je les trouve bien plus intéressantes et complexes que les dieux.
Voilà, le pavé avait été jeté dans la mare, et il avait clairement affiché son inimité pour la caste divine. Bien sur, c’était une généralité souffrant de quelques exceptions, comme son affection fidèle à Séléné, ou sa proximité fraternelle avec Athéna. Mais dans son immense majorité, il est l’allié de la cause mortelle, et de ceux qui avaient toujours eu à se battre pour assurer leur survie. Il les respectait énormément pour ça, alors qu’il n’était pas d’une nature très… conciliante de base. De plus, lui-même n’était pas un dieu pur race : sa mère n’était qu’une humaine, et il ne devait sa nature divine qu’à sa seconde gestation dans la cuisse de son père. Il s’en aurait fallu de peu pour qu’il n’eut jamais ses pouvoirs, ni son statut. Alors s’il ne s’en plaignait pas, il n’en tirait pour autant aucune fierté, ni gloire, ni prétention. Il avait été un peu plus chanceux que les autres, et c’est tout.
Il se resservit un énième verre, alors que l’assiette de fruits se vidait progressivement. Un serveur s’approcha timidement pour leur retirer le plateau, Mais ni l’u ni l’autre ne lui accordait le moindre regard, se jaugeant d’un air m bravache, mi amusé. La harpie ne baisserait pas les yeux, et lui n’était pas de ce genre non plus. Elle se mouvait face à lui comme une égale, si ce n’est un peu supérieure. Il ne s’en ombrageait pas, après tout, c’était de bonne guerre. D’autant plus qu’ils avaient plus de points communs que prévu. « J’avais remarqué, aussi, leur tendance à être insipides depuis qu’ils sont tombés de leur joli petit nuage. »
-Ils ont peur. Ils ne l’assumeront pas, mais c’est un fait.
« Partageras-tu donc ces plans avec moi, ou suis-je dénuée de toute utilité concernant tes projets ? »
Il ne put s’empêcher de sourire devant cette question en forme de piège à souris. Une flatterie, et une menace dans la même phrase, que de promesse ! Mais là encore, Céléno le prenait pour ce qu’il n’était pas : un ambitieux aux dents longues. Il se voyait plus en rêveur qu’en maitre du jeu, en joueur qu’en gagnant. Gagner n’était pas le but, il n’y avait rien à gagner de positif pour lui, il n’avait ni l’âme ni la patience d’un leader. Il était plus un faiseur d’idées, un catalyseur à réactions. Il voulait que ça bouge, le sens l’importait peu. Il se pencha un peu plus au dessus de la table, rapprochant de facto son visage mutin de celui de la magnifique jeune femme.
-Je veux changer les choses. Je refuse que les dieux reprennent le dessus sur ce territoire sans le mériter. Certains s’imaginent que Néméil n’est qu’une extension de nos vies terriennes. Il n’en est rien. Les dieux peuvent mourir ici, Mourir, pour de vrai, sans espoir de retour. * son sourire s’étira en un rictus inquiétant, illuminé*. Je veux tenter l’expérience. Je veux tuer un dieu, et voir ce que cela provoque.
Il cligna des yeux, comme sortant de transe, sans pour autant reculer. Il espérait ne pas être assez bête pour vexer la jeune femme par ses réponses :
-Mes projets ne sont pas personnels, ils sont le magma des ambitions de tous ceux qui en ont marre de l’ordre établi et des obligations illégitimes. Je suis désordre, je suis création et changement. Mais je ne suis qu’une sorte d’architecte un peu fou. Mais vous les Harpies, vous êtes des artisanes de la destruction, les orfèvres du chaos de votre mythologie, certaines de tes sœurs me l’ont démontré de manière flamboyante. Sans vous, ce projet ne perdrait pas son essence, mais il est certain, une grande partie de son charme …