Une respiration.
Sigr courait entre les arbres, il était légèrement essoufflé, mais aimait trop la sensation du vent dans sa fourrure pour s'arrêter. Son harnais frottait ses épaules et son ventre, l'épée et le bouclier qui y étaient pendus bringuebalait contre ses flancs. L'odeur du froid et de la neige emplissait son nez, couvrant presque entièrement celles des troncs trempés et des petits animaux qui vivaient dans le parc. Soudain une branche mal placée le fit trébucher et il roula cul par dessus tête dans la poudreuse. Un peu sonné il resta quelques instants couché dans la neige, puis se leva avec un grand rire de loup et s'ébroua pour se débarrasser des flocons glacés qui s'étaient entremêlés à sa fourrure...
Une respiration.
Le cerf expira un souffle glacé qui fit deux petits nuages devant ses yeux. Un bruit avait attiré son attention et tout ses muscles fins et puissant étaient tendus comme des arcs. Si le bruit se répétait il s'enfuirait à grands bonds, suivit par son harem qui paissait autour de lui. Le craquement recommença. Lançant un cri d'alerte, il sauta du talus sur lequel il était juché pour courir et montrer la voie du salut à ses biches paniquées. Le troupeau filait à toute vitesse à travers la forêt. Soudain, un ruisseau apparu au loin. Le cerf hésita un instant, puis accéléra et s'envola au dessus de l'eau...
Une respiration.
Le faucon décrivait des cercles dans l'air glacé depuis des heures. Il avait faim et voler l'affamait encore plus. Dans le froid de l'hiver, les lapins étaient maigres et difficiles à trouver. Ils suffisaient tout juste à l'empêcher de mourir de faim après tout le temps qu'il mettait à les trouver. Le paysage s'étalait sous ses yeux et il semblait qu'il voyait jusqu'au confins du monde. Mourir de faim était si beau quand on était au sommet du ciel! D'un coup d'aile, le faucon se plaça sur un courant ascendant et continua à monter. Il dominait la terre.
Une respiration.
Thrùd rouvrit les yeux. Combien de temps avait-elle passé ainsi, assise par terre dans la neige sous un arbre à partager le corps des animaux du parc? Elle ne le savait pas, mais ce qu'elle savait maintenant c'était que le soleil était désormais bas et qu'elle avait été loutre, mulot, corbeau, renard, truite, loup, cerf, faucon. Le monde lui paraissait si grand soudain! Un crissement dans la neige lui fit lever la tête.

"Hel." dit-elle pour toute salutation.

Cette soirée de Néméïl avait été le théâtre de nombreuses tensions et Hel n'en décolérait pas depuis. L'apothéose avait été la fin, la déclaration de Dionysos l'ayant tendue comme la corde d'un arc. La déesse des Morts s'étaient figées, prête à arracher la tête de la première personne qui croiserait son chemin. Des humains, cette vermine. Ici. Sigyn, la douce Sigyn avait immédiatement repéré la fureur glaciale de sa belle-fille tant elle y était coutumière et c'était précipitée à ses côtés pour la calmer de son toucher protecteur. Sans elle, il y aurait sûrement eu un drame. Aussi sûrement qu'He était la déesse des morts. Thor avait tenté d'intervenir et de mettre la déclaration de Dionysos sur le coup de l'alcool mais elle connaissait de mieux en mieux son Oncle et elle se doutait qu'il lui cachait quelque chose. Ses poings se crispèrent alors que ses maxillaires se serraient, elle sentit dés lors le toucher de Sigyn se raviver. Et ou était son crétin de père d'ailleurs ? Hel vida les lieux, entendant d'une oreille les paroles de Sif à l'adresse de Râ, l’Égyptien qui s'était dressé avec elle contre Dionysos.

Elle les ignora mais su au plus profond de son être qu'elle approuvait Sif. La Déesse des Mariages, aussi futile pouvait sembler être sa fonction était une grande guerrière et une femme d'honneur. Hel n'avait jamais su comment se positionner par rapport à elle à cause de son père, mais son arrivée sur l'île lui avait appris à se détacher peu à peu de son influence néfaste ce qui ne lui avait fait que du bien, la réconciliant avec son Oncle qui semblait vouloir faire plus pour elle en quelque semaine que son père en un siècle. Oui aujourd'hui si les Nordiques avaient besoin d'elle, elle répondrait à l'appel. Tout en se vengeant néanmoins d'Odin bien entendu.

Ce jour là, la Déesse avait à peine décoléré de la soirée lorsqu'elle c'était avancé dans la neige. Un autre problème fort épineux consistait en son vieillissement qui avait énormement progressé depuis son arrivée sur l'île. D'un vingt-cing ans humain, elle approchait désormais la trentaine en quelques mois et aucun moyen de contrer cet effet. Se levant ce matin là, elle avait enfilé un pantalon de lin et une robe nordique, fendue pour lui permettre d'en découdre en cas de combat. Un poignard était attaché à sa cuisse, une épée à sa taille et une couronne orfèvrerie viking rappelait son ancienne fonction suzeraine de Reine d'Helheim. Ses bottes s'enfonçaient dans la neige à rythme régulier lorsqu'elle se stoppa en apercevant une de ses Wakyries assisses dans la neige et pas n'importe laquelle. « Thrùd ». Sa cousine, son impétueuse cousine qui les avait quitté fort tôt à la réception. « Que t'est-il arrivé l'autre jour que tu nous as quitté si tôt ? Souffrante ? ». Le sourire carnassier d'Hel s'élargit. Thrùd était une bombe à retardement et elle se plaisait assez à la taquiner quand elle croisait sa route en Helheim, pourquoi changer ici ?